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par Thomas Parisot (Pronoms : il / lui)

Yearnotes #5

Yearnotes écrites à Crest, publiées le 24/11/2025. S'abonner via RSS.

Table des matières

Cinq années se sont écoulées depuis la première note hebdomadaire. C’est ma plus longue longévité d’activité en vingt ans de travail.

Cette année, j’ai demandé à Alexis de se prêter au jeux des questions rétrospectives/introspectives. Qu’est-ce ce qu’il souhaitait apprendre de mon année 2024 ? J’étais curieux de ses questions.

Ces notes ont été écrites dans un carnet en juin 2025. Pour les publier seulement maintenant, en novembre 2025. J’aime toujours autant leur saveur !

Quels ont été les challenges humains pour toi en 2024, et quelles ont été leurs influences sur ta manière de travailler ?

J’ai réalisé que je cachais encore des choses. Par peurs. Par peur de blesser, par peur de réactions négatives. C’était sorti de mon radar, que j’étais encore vulnérable à cet endroit. Je suis content d’y avoir été à nouveau confronté — encore que ça revient au fait qu’on m’y ait confronté, qu’une personne aie fait l’effort de.
J’ai repris le sujet à bras le corps avec l’aide d’une thérapeute et d’exercices. Ce n’est pas encore parfait mais c’est beaucoup plus tranquille depuis.

La relation avec le conseil d’administration de ma coopérative a été une épreuve douloureuse. Il n’y avait pas de prise de recul, pas de soutien et ça m’était insupportable. J’ai préféré laisser tomber, mettre de la distance et me concentrer sur mon activité. Ça a créé de la détente.
Ça m’a aidé à penser à d’autres choses. La vivacité de l’amertume s’est atténuée. Le déficit de communication interne que je vivais mal s’est transformée en silence… que j’ai bien vécu, à ma grande surprise. Je ne voulais pas me sentir co-responsable d’une gestion que je trouvais nulle. J’ai pu rassembler mes forces et préparer le chemin de ce qui aura été ensuite ma meilleure année, financièrement parlant.

Se dire au revoir avec l’équipe CartoBio a été quelque chose de difficile. Comme un saut dans le vide. Ça avait commencé comme un “projet de six mois”, en plein lancement d’activité après avoir déménagé en milieu rural. Ça a payé mon premier salaire. Puis de cheminer avec ce projet jusque juin 2024.
Une fin certes ; tellement de fiertés pourtant. Fierté d’avoir construit un produit qualitatif avec une belle équipe, d’avoir nourri une super entente et des relations de travail excellentes. D’avoir produit un beau livrable technique, au contact de ses usagèr·es. D’avoir produit un cas d’école remarquable au sein de la communauté beta.gouv.fr. C’était difficile d’arrêter : le rythme et la rémunération étaient confortables. On aurait pu encore continuer sur ce rythme pendant quelques mois encore.
En même temps, j’avais envie de couper, de profiter de l’été, de vacances, de laisser de la place pour d’autres choses. Je suis content qu’on ait su prendre de bonnes décisions en équipe, qu’on ait pris soin de nous et de nos pratiques de travail.

Qu’est-ce qui t’excite professionnellement ? Est-ce que tu as vu une évolution dans cette dernière année ?

C’est de continuer à apprendre des choses. Petites ou grandes, peu importe. Quand il y en a besoin. Je me suis offert une formation développement Web en accessibilité numérique pour consolider les apprentissages empiriques acquis sur une dizaine d’années. Depuis mes premières participation à Paris-Web. Je me suis mis au backgammon et au vélotourisme — je suis passé de la peur de cinquante mètres de dénivelé positif à en enquiller un millier dans la même journée, tente et sacoches garnies.

Le faire équipe : tisser des liens de clarté, de soin et de méthodologie. C’est parti d’un besoin personnel — une béquille quand j’étais encore trop fragile sur mon sentiment de sécurité. Ça a évolué vers la conscientisation que résoudre en équipe sort des postures individualistes, où c’est un problème est le problème de quelqu’un·e. En faisant équipe, le problème de quelqu’un·e est le problème de l’équipe.
Ça part aussi d’un constat : quand je ne m’y retrouve pas, c’est aussi le cas d’une partie de l’équipe. Ça a été tout un apprentissage de verbaliser sans trop bousculer, sans trop mal le vivre. En posant des questions. En posant des propositions, des hypothèses. En créant des bulles d’expérimentation. Et aussi d’apprendre à sentir quand je prends les choses trop à cœur, de ne pas le faire rejaillir sur le reste du groupe.

Il y a eu des évènements énergisants :

Prêt·e à lancer une partie de backgammon avec vue sur les vignes de Charente (septembre 2024).

Comment est-ce que tu gères le fait de travailler à distance ?

La notion de distance a changé. Elle n’est pas tant liée à la distance géographique avec les clients ou une équipe qu’à mon lieu de vie. Cette année, mes lieux de vie se sont multipliés, à Crest et à Die. J’ai découvert que même en n’étant pas loin, une distance s’installait avec Crest : les amis, les collègues de tiers-lieu, les activités régulières. Du rapprochement se tissait avec Die : passer du temps avec des gens que j’appréciais mais voyais peu, créer de la familiarité, ne plus me sentir comme un touriste régulièrement de passage.

Avec les équipes distribuées de travail, on se prévoit des temps communs, des sujets où on binôme ensemble sur la conception et leur réalisation. Les séminaires de plusieurs jours laissent du temps à l’informel, à partager d’autres activités (jeux, cuisine, balades). On se sent proche et c’est réciproque à en croire nos temps de rétrospective.

Finalement l’équipe avec laquelle il y eut le plus de distance… c’était une distance culturelle et organisationnelle. C’était paradoxalement l’équipe la plus proche géographiquement. L’isolement est plus difficile à vivre que la distance géographique — on peut aménager cette dernière.

Comment est-ce que tu gères l’ennui ? Est-ce que c’est une question pour toi ?

J’ai un rapport tranquille à l’ennui : je rêvasse facilement spontanément. C’est même plutôt une inquiétude si je n’ai pas assez de temps pour moi. J’aime les temps de respiration. J’en ai besoin pour fonctionner. Je n’aime pas les semaines trop remplies, organisées à la minute près. Les temps morts sont plutôt des temps de vitalité, pour clore un moment, disposer d’un sas avant d’entamer autre chose de prévu ou d’imprévu. C’est un temps essentiel pour gérer mes émotions, sédimenter un apprentissage ou savourer les sensations vécues.

Pour refaire un parallèle avec la question sur le travail à distance, ennui et solitude vont de pair. Je suis en paix avec l’ennui et la solitude.

Bienvenue à la dix-neuvième édition de Paris-Web (septembre 2024).

Qu’est-ce que tu mets en place pour avoir un bon « équilibre pro-perso » ?

J’avoue ne pas faire cette séparation pro-perso. Mais un grand oui aux équilibres.

Je type les relations. Par exemple, travailler et causer parentalité avec X, s’apporter aide et soutien sans pour autant travailler ensemble avec y, amitié et politique municipale. Je compose un rythme en fonction des intensités choisies et subies. Et j’en tiens informé les équipes — qu’elles soient amicales, amoureuses, associatives, ou professionnelles.

D’ailleurs, l’écriture des notes hebdomadaires est un des thermomètres à la mesure de ce rythme. À cela s’ajoutent les sensations corporelles, la qualité de mes nuits, mon énergie à faire les choses.

Par exemple, j’ai réduit mes implications bénévoles et de travail non-rémunéré ça prenait trop de place au détriment du reste. Je voulais plus de légèreté, plus de disponibilité pour souffler et pour être disponible en soutien pour d’autres.

J’opte pour dire ce qu’il se passe de significatif dans ma vie — parce que ça impacte forcément les gens avec qui je travaille. En pratique, ça a surtout créé du rapprochement, de l’empathie et appris à mieux nous connaître… on n’en a que mieux travaillé.

Je sais que tu apprécies particulièrement le silence, mais je sais aussi que tu aimes travailler avec d’autres personnes. Comment est-ce que tu articules ça ensemble ?

C’est parce que c’est facile d’avoir les deux où j’habite : savourer le calme de la demeure et d’aller trouver du lien en sortant. J’habite dans une ville où le contact est facile, où j’ai un bon équilibre de liens profonds et de liens superficiels. En cinq minutes de marche je suis sur un chemin de randonnée, en vingt, dans une forêt. Et autant pour aller dans un magasin, un café ou à la gare.

Il y a un autre rythme qui compte, c’est celui des temps de groupe, des temps de visio et des temps à forte concentration.
Dans un temps de groupe, s’il y a des bruits parasites, pas d’ordre du jour et pas d’animation, ça m’épuisera.
Le temps de visio me fatiguera, rognera sur ma capacité de concentration.
Les temps de travail à forte concentration… ne me fatiguent pas comme une visio. Quand je suis concentré, je n’entends plus les bruits environnants. Seul chez moi ou dans un café, ça revient au même. À la limite les paysages d’un train seront plus distrayants !

Un facteur de bruit important, ce sont les notifications. Elles sont toutes coupées quand j’ai besoin de concentration. Ou ouvertes quand je suis interruptible. Le seul canal qui reste ouvert, c’est celui qu’on a défini en commun avec l’équipe de travail de la journée. S’il y a une urgence, un coup de fil ou un SMS sont les canaux de prédilection.
Sinon, ça peut attendre ou bien c’est géré selon un protocole consenti en équipe, en fonction de la gravité de bugs par exemple.

Une pause près d’une fontaine dans le hameau de Montigny-les-Arsures dans le Jura (mai 2024).

Quel regard tu portes sur l’enthousiasme que tu as au travail ?

L’enthousiasme est un moteur de mon quotidien. C’est un indicateur de santé mentale. C’est différent de l’excitation, que je compare à une montée de sucre. J’assimile l’enthousiasme au sens, à l’éthique et au plaisir à faire les choses, à être en lien avec une équipe.

Tu parlais d’équilibre pro-perso. Une chose qui m’enthousiasme (comme un voyage à vélo ou une démo de fonctionnalités) rejaillit sur les touches du clavier, dans le code et les comptes-rendus. Si ça tisse du lien, par exemple parce que la destination est celle du berceau familial d’un membre de l’équipe, ça ajoute de l’enthousiasme, dans mes journées, dans les nuits, au travail.

Quand il y a moins d’enthousiasme, je cherche à sentir d’où ça vient. Est-ce que c’est le flou du projet, un non-dit dans l’équipe ? Ou tout simplement moins d’énergie en moi, le besoin de souffler, de faire une pause ? Ça incite à faire la part des choses entre ce qui tient du projet, de moi, ou d’autres éléments extérieurs.

L’enthousiasme est à la fois une boussole et un horizon.

Quels sont les moments marquants pour toi cette année ? Et pourquoi ?

Il y a eu le regroupement d’équipe CartoBio en avril. C’était la dernière fois qu’on se voyait en équipe au complet. C’étaient nos dernières itérations avant de rendre le tablier. Tout d’un coup, on voyait le bout du tunnel. On a célébré le travail accompli, le plaisir d’être ensemble, de travailler ensemble.

La démission du conseil d’administration de ma coopérative en novembre. J’avais acté une pause, une prise de distance. Dans la même semaine la directrice a démissionné. On est deux à avoir jeté l’éponge en même temps. Je n’ai fait qu’aller mieux depuis.

J’ai été régulièrement en soutien familial, pour une maladie rare suivie d’un décès. C’était du temps, d’écoute, de logistique pour ajouter du doux, pour être présent quand il le fallait. Je suis content d’avoir pris du temps pour ça, d’avoir pris sur le temps de travail pour être là.

La rentrée de septembre a été marquée par la découverte d’une trésorerie à sec. J’avoue qu’entre ça et le conseil d’administration défaillant, j’en ai beaucoup voulu à ma coopérative. Passé l’instant de panique, j’ai activé des pistes, formalisé des demandes, rééquilibré ma présence dans les endroits qui me demandaient de l’énergie et ceux qui m’en apportaient.

Quand tu (Alexis) prononces un je m’inquiète pour toi lors d’une balade, la veille dans un séminaire sur les risques psychosociaux. Un wake-up call comme disent les britanniques. Merci pour ça.

Dans la catégorie « rien à voir » (parce que c’est du perso 😉), je dirais une marche de dix jours le long de la Voie d’Arles. Une portion dans le Tarn, entre Toulouse et Lodève.